Le secret du paresseux. /par Christophe

Le 1er septembre 2014

Comment Darwin a-t’il pu permettre une telle existence ? Cet animal à l’air de peluche mi-ours mi-singe et au visage vaguement humanoïde est quasiment sourd et aveugle. Il possède de plus la démarche la plus inadaptée pour se déplacer au sol, rampant à quatre pattes en prenant appui sur les coudes, ce qui lui permet d’atteindre une vitesse quasiment égale à celle d’une tortue, mais sans carapace protectrice. Dans les arbres, comparée à l’agilité rapide des singes, il garde son rythme escargrotesque, déployant ces longs bras comme le gastropode ses cornes., à tâtons dans son obscurité. Dame Nature l’a affublé en outre en lieu et place des doigts agiles des autres animaux arboricoles, de trois grandes griffes démesurées, gênantes, lui donnant l’air triste d’un Edward aux Mains d’Argent. Que c’est-il donc passé dans la loi de la sélection naturelle pour permettre une telle hérésie ? L’animal possède-t’il une arme secrète, fulgurante, pour terrasser ses prédateurs ? Non (a priori). La réponse est plus prodigieuse. Il a fait de sa lenteur une force. La paresse est son arme. Mais non pas la bête paresse du péché catholique, non, mais la paresse élevée à un niveau de maîtrise inconcevable. Puisque-je suis lent, semble avoir pensé l’animal, autant bouger le moins possible. La bête s’est alors suspendue à une branche, elle a cessé tout mouvement, elle a ralenti son cœur, éteint sa respiration, les végétaux et les insectes se sont développés sur son pelage, comme sur un morceau de bois, retournant à un état quasi végétal, une excroissance de l’arbre qu’elle habite. Et donc hors le temps minimal consacré à ses quelques besoins vitaux, le paresseux dort. Vingt heures par jour disent les zoologistes. Toute l’âme de l’animal semble tendre vers ce sommeil. Le sommeil est devenu son état de veille. Mais quelle est donc la nature de ce sommeil. Un état végétatif, l’évolution faisant demi-tour pour ramener l’animal à l’état de plante ou de pierre ? Sinon, est-il plongé dans de profondes pensées ? Rêve-t’il un monde qui lui est propre? Quoiqu’il en soit, au vu du temps passé, son sommeil est sa réalité. Il s’endort alors quatre heures par jour dans l’angoisse de ce rêve chronique d’un monde absurde où il doit péniblement se nourrir, déféquer et se reproduire.