La route sans fin de l’Outback- 4332 km parcouru du Sud au Nord…./par Nathalie

100km/h au volant du camping car, la route est rectiligne, à gauche aucune âmes qui vivent à droite, pas plus. Tout au bout de la voie sans virage, le mirage de l’eau, la chaleur est là torride, sans ombre pour la reposer. Pas de radio, seul Dieu peut crier dans le désert… la climatisation est à fond, le bruit sourd bourdonne dans les oreilles du chauffeur…

Le néant est propice à la rêverie alors l’esprit s’évade… Sur le bord de la route, les tons changent doucement, le rouge passe parfois à l’orange, le vert s’approche de la route, s’éclaircit, devient presque fluorescent, puis repart comme il est venu et disparaît. Les taillis se transforment en arbustes puis en arbres. Parfois brûlés, ils ne sont plus que multitudes d’ombres noires stoppées in extrémis par la route avant de se répandre sinistrement. Puis à nouveau le spinifex, constance providentielle de la nourriture aborigènes au temps d’avant le bitume.

D’un coup tout tremble, vibrations qui se propagent jusqu’aux enfants derrières, jusqu’au bout du bout du trop fragile camping-car qui se torsade comme un churros, la brutalité en plus: c’est le “grid”- la grille en français-, tueuse de rêves… Car clôtures et grilles sont partout dans l’outback. Les parcelles de néant sont minutieusement délimitées. Pas question de s’arrêter n’importe où. Chaque bout de cette terre aride et inhospitalière est convoitée, son propriétaire habitant quelque part dans l’infini de l’horizon….

Coober Pedy, ville du sud, ici, on nous le dit, le terrain est propriété de la reine d’Angleterre et les profondeurs regorgent d’opales. Depuis 1915, les mineurs s’y sont installés bravant la rareté de l’eau et malgré la température qui grimpe à 55°C. Ils ont creusés des trous partout à la recherche de la pierre salvatrice ou de quelque fraîcheur pour abriter leur foyer. 100 ans de trous sur la route, des millions de trous et tout autant de monceaux de cailloux refoulés. Malgré les panneaux “dangers” horriblement explicites, il y a des accidents de trous à répétition où enfants, touristes, mineurs se fracassent mortellement….. Dernièrement, une parisienne prenait des photos.  Sous le charme de l’endroit insolite, elle a sans doute voulu capter encore plus d’horizon, entrevoir plus de désert,  plus de tas de pierres abandonnées. Elle s’est reculée, un pas, deux pas. Elle n’a pas regardé et, POF, le trou l’a happé comme indiqué sur les affreux panneaux de la ville. 

Plus loin, après Coober Pedy et ses trous

après l’Urulu et son immense rock émergé couvert de toiles de cotons rouge-orangés qui tombent en quelques plis

après l’Eden du Kings Canyon, après la vision surréaliste d’une coquette mamie pompiste à l’accueil « so  » poli et « so » british dans une boutique climatisée plantée en plein outback à 300km de la ville,

après Alice Springs où les aborigènes s’invitent dans les rues à la recherche peut-être des temps perdus,

plus loin encore, dans le Northern Territory, les grilles “GRID” s’espacent et le rêve reprend sans être plus interrompu.

On peut alors s’enfoncer confortablement dans l’univers de la route, contempler les variations des couleurs des bas côtés, apprécier le lever du soleil et le crépuscule et leurs palettes de couleurs orangées, se perdre en inventions dans la sinuosité des branches tortueuses des eucalyptus blancs fraîchement apparus dans le paysage des côtés.

Plus loin encore, les termitières peuplent les bords de route d’une foule de spectateurs: Cônes par milliers, élevés vers le haut par les petits insectes, sculptés vers le bas par la pluie, déguisés parfois avec de quelques hardes et chapeaux usés et finalement transfigurés par l’automobiliste dans son rêve éveillé le long des 1500 derniers km: Ici donc un kangourou boxeur sans tête, là une vierge immaculée, plus loin une famille enlacée, un Boudha en phase d’éveil, une jeune fille en Tshirt avec un coeur, des joueurs de foot, des forêts de troglodytes rouges sombres ou jaunes….

Seuls les énormes Road Train ont encore le pouvoir d’interrompre le rêve… Le réveil est brutal mais nécessaire. On s’accroche au volant, et on voit défiler 2,3,4, et même parfois 5 remorques… le coup de vent est violent mais, tel un enchantement, nous attire, le temps d’un instant, vers l’étrange mastodonte au museau d’acier.

Encore plus loin, plus proche de la fin du rêve, il nous est arrivé de suivre un Road Train à 4 remorques et là, le charme magnétique de ces énormes machines opèrent. La conductrice du camping-car est sous l’hypnose du mouvement aux ondulations régulières des 4 remorques qui chaloupent doucement de gauche à droite…. On roule longtemps derrière sous l’emprise du sorcier mécanique, pas facile de pouvoir s’en détacher, pas facile de le dépasser…

Décidément, le bitume de la Stuart Highway nous ramène toujours au rêve!