Le vide de la steppe /par Christophe

Mongolie, le 31 juillet 2015

Ulaan-Baatar. La ville s’effrite depuis la place flambant neuve du Palais Présidentiel au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre. Le béton s’use, se dilue. En bordure, des villages de campagne entoure UB, comme une ceinture ornée sur son large ventre de lutteur ; les hautes palissades de bois clôture les maisonnettes aux toits métalliques de couleurs vives. Le van Mitsubishi tourne soudainement à gauche et quitte la route goudronnée. Définitivement. La piste s’élance, les voies nombreuses se croisent, se suivent, s’enroulent comme des cerfs-volants dorés dans le ciel vert de la steppe. Direction sud. Un lent océan aux vagues quasiment immobiles. Un motif unique qui se répète jusqu’au ciel, la touffe d’herbe, qui se répand presque liquide tout autour de nous. Ce point de croix unique forme un tapis vaste comme le monde sur l’ocre de la terre. Parfois des silhouettes de montagnes se découpent comme en pochoir sur un bord. Parfois, plus rien. Même plus les pseudo ondulations de vague. La steppe, lac figé, s’étend plane jusqu’au bout des yeux. Le motif même de l’herbe perd de sa substance. Le paysage a disparu. Il ne reste plus qu’une surface plane, le plan de la Terre qui s’étire contre le plan du ciel pour s’abîmer dans la droite de l’horizon. Perdue hors paysage la pensée pourrait s’éteindre. Par bonheur pour la raison, une stridulation zèbre parfois ce vide maintenant la permanence du monde. Une colline de quelques mètres surgit de terre, île rose. Une bande d’oiseaux s’enfuie à tire-d’aile virevoltant. Trois jeune poulains se sauvent au galop devant notre camionnette qui les poursuit un instant pour rire. Une yourte passe. Dans une flaque d’eau une horde de chevaux se repose les pieds dans le reflet du ciel. Un berger abreuve ses moutons et ses chèvres à un puits. Ces menus événements, entretiennent, de loin en loin, une maigre histoire, empêchant que tout sombre dans le blanc de l’ennui.